La Gasolina, en burn-out sur le dragstrip du Reggaeton

La Gasolina Daddy Yankee

Si l’on devait définir un marqueur temporel dans l’histoire du reggaeton, ça serait inévitablement La Gasolina. Présente des challenges viraux jusqu’à l’expérimentale underground londonienne en passant par la masculinité fragile du rap français, c’est à cause de ce morceau que l’incontournable séquence de percussions « boom-ch-boom-chick » vous est si familière. Enfin, vraiment ?  

Un samedi soir de plus à laisser pisser la sélection aléatoire YouTube en préparant un énième apéro appart’ avant de sortir, lorsque l’inévitable intervient. Une montée frénétique de cuivres et de percussions synthétiques retentit… Ce drama acoustique illustré par une Ford Mustang LX de 87 en burnout, alternée de façon épileptique avec de plantureuses danseuses aux gestuelles suggestives sur un dragstrip noyé dans l’obscurité, n’est que prétexte à l’introduction de ce maudit « boom-ch-boom-chick », ou le point de départ du morceau phare de Daddy Yankee, La Gasolina. Immédiatement, deux questions me viennent à l’esprit. Pourquoi ne voit-on jamais les pieds des artistes dans ce clip ? Et, qui aura été le premier à avoir utilisé cette inénarrable séquence usée jusqu’à la moelle et, plus que jamais, toujours d’actualité en 2020 ? Si le rapide souvenir d’une visite sur la piste de dragster de Hi-Land au Japon répond à ma première interrogation (réponse en fin d’article), la seconde en revanche m’envoie directement au canal de Panama au début du XXème siècle.

Panama Pepper

Le canal de Panama, en plus d’avoir ouvert la voie à d’incontestables avantages commerciaux, aura aussi indéniablement contribué à la naissance du reggaeton. La main d’œuvre jamaïcaine arrivée en nombre au début du XXème siècle pour achever l’ouvrage a ainsi marqué d’une empreinte indélébile la musique panaméenne. C’est dans les années 70 que les premiers enregistrements de Reggae eñ Espagnol ou Spanish Raggae y voient le jour. Plus tard, dans les années 80, des artistes comme Nando Boom, Chicho Man et El General prennent pour habitude de traduire des morceaux jamaïcain en espagnol, et un en particulier qui aura donné son nom, Dembow, à ce fameux pattern de percussions. Si le morceau Dem Bow (homophobe à vomir) de Shabba Ranks produit par Steely & Clevie lui donnera son nom, c’est sa cover hispanophone de Nando Boom, Ellos Benia (Dem Bow) revisitée par le producteur Dennis The Menace en 1990, qui sera à la manière d’un Amen Break pour le hip-hop et la drum’n’bass, la base fondatrice de ce qui deviendra le genre musical le plus populaire des années 2010, le reggaeton. A Porto Rico, le petit club « The Noise » contribue grandement à la popularisation du Dembow, plus connu là-bas sous le terme « Underground » (oui, oui) avec l’émergence d’artistes comme Vico C, Ruben DJ, Lisa M, Ivy Queen et un tout jeune… Daddy Yankee.

Reggaeton dans l’hexagone

Même si rien n’annonçait une telle déferlante reggaeton dans l’hexagone, quelques balbutiements auraient pu nous mettre la puce à l’oreille dès le milieu des années 90. Et c’est sournoisement sous le terme Dancehall que les Admiral T, Lord Kossity, Big Red et autres Saian Supa Crew nous ont préparés au Dembow. Le plus célèbre des morceaux lui faisant honneur est sans nul doute Angela sorti en 99, en même temps ou presque que Bimbo du toujours très actif Big Red, suivi plus tard en 2004 par Lord Kossity et son Sex dans la piscine. Mais entre-temps un séisme reggaeton et sa réplique en provenance directe de son pays d’origine (le Panama) venaient frapper la France de plein fouet ! Sweet Soca Music de Sugar Daddy, reprenant sans vergogne le tube Bitter Sweet Symphony de The Verve, et la réplique Lorna avec son discutable Papi Chluo produit par El Chambo (retenez ce nom pour plus tard). Et c’est seulement par la suite que Daddy Yankee nous aura convaincus avec sa Gasolina… En fait, pas vraiment, puisque le temps que son tube arrive en France, un opportuniste du nom de Papa A P s’empressait de sortir un remix en Europe et ce bien avant l’ayant droit ! C’est donc lui qui a tiré le succès de ce tube chez nous et c’est certainement à lui que vous pensiez en fredonnant « Da me mas Gasoooliiiinaa » !

YouTube King

Les années 2010 ont été un nouveau tournant dans ce « reggaeton game ». Les DJ Snake, Major Lazer ou Alo Wala ont su habilement intégrer le Dembow dans des productions plus électroniques comme Lean On, ou autrement dit, la base de toute musique libre de droit pour vidéos YouTube depuis lors… Puis il y a eu les chansons virales comme Chacaron (20 millions de vues) et Da me tu cosita (2 milliards de vues), toutes les deux produites par le Panaméen El Chombo à qui l’on doit aussi… Papi Chulo ! Évidemment, la vidéo la plus vue de YouTube, Despacito avec en featuring Mister Gasolina Daddy Yankee, culminant à plus de 6 milliards de vues, n’est rien d’autre que du reggaeton pur jus ! Preuve du succès incontestable du genre ? Les rappeurs comme Booba, Kaaris, Disiz la Peste jusqu’à Alkpote et bien d’autres y ont recours ! Et ce, malgré l’indignation que cela suscite chez certains de leurs confrères, qualifiant la démarche d’opportuniste en leur affublant le doux sobriquet de « Rappeur Zumba ». Oui, oui, cette danse sportive et sensuelle. Pendant ce temps, Pookie, Tchoin, Madrina, Monarchie Absolue affichent des vues par centaines de millions. Heureusement, des artistes plus confidentiels comme Nazar, Dinamarca intègrent le Dembow de façon bien plus subtile et intéressante que Bagarre dans Kabylifornie. Et je ne saurais que trop vous conseiller de vous pencher sur Airstrike de Nazar et Holy de Dinamarcara (aux influences Kuduro) pour vous en rendre compte. Ah, j’oubliais ! Et pourquoi ne voit-on jamais les pieds des danseurs dans le clip ? Essayez simplement de marcher sur la zone de burnout d’un dragstrip et vos pieds y resteront collés comme un vulgaire tube de reggaeton dans votre tête…  

Crédits photos : Spotify – discogs.com – hotmixradio.com – fr.trace.tv – radiofrance.fr – pandora.com

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